Oui papa.

Ce matin à l'heure des braves, j'avais rendez-vous chez notre cher vieux Paul Emploi. J'ai eu droit à un magnifique sketch de notre ami Charlie T., qu'on aurait pu intituler : le wauquation du Conseiller.

J'arrive en avance, tout comme les trois autres individus ayant rendez-vous de bon matin : une femme d'une quarantaine d'années, un arabe cigarette électrique au bec et tenant fermement une serviette "Wall street institute", enfin, un type blafard et rasé, avec le genre de faciès taillé à la serpe et une boucle d'oreille, autant de tentations pour le sociologue approximatif à le placer provisoirement dans le casier des "ex taulards en reconversion". Il fait froid, nous nous croisons tous les quatre sur les micro trajectoires que nous faisons pour nous réchauffer et qui ne sont pas sans faire penser aux déplacements erratiques d'un groupe de pigeons, tout en jetant des regards à travers les baies vitrées de l'édifice. En effet dans le hall d'accueil semble se tenir un conciliabule matinal entre les salariés de l'institution. Ils se pressent autour du directeur qui est le seul à parler, ponctuant son discours par d'énergiques mouvement de tête. Sans doute exhorte-t-il ses troupes à la manière d'un entraîneur de volley-ball dans les secondes qui précèdent une rencontre capitale. Puis le groupe se disperse et l'on vient ouvrir la porte.

Les formalités d'accueil remplies, j'entends une voix virile prononcer mon nom : l'intonation ne me laisse aucun choix, il y sonne déjà comme un reproche. C'est le premier rendez-vous de la journée et Charlie ne m'a pas choisi au hasard. Il a parfaitement enregistré les indications de mise en scène que le nouveau formateur régional a dû leur transmettre lors de la dernière répétition. Il prend soin de ne faire aucun pas vers moi, me laisse venir à lui tout en me regardant dans les yeux sans l'esquisse d'un sourire. Il ne me tend la main qu'au dernier moment, une poignée de main aussi ferme que brève. Suivez-moi dans le bureau du fond.

Nous voilà face à face. J'ai bien du mal à vous voir, monsieur Saramy. On a bien du mal à se voir, hein. Et pourquoi ça, vous pouvez me l'expliquer ? Oui, vous m'avez envoyé des mails. C'est quoi ces concerts ? C'est bénévole. J'ai des collègues (signe de tête désignant tous les autres bureaux de la rangée), j'ai des collègues qui font aussi des activités bénévoles, ça ne les empêche pas de travailler. Mmh. Est-ce que vous recherchez du travail, monsieur Saramy ? Comment ? Vous savez, je devrais vous radier, là maintenant. Et vous vous doutez des conséquences que ça aurait. Vous êtes bénéficiaire du RSA, hein? Je vois venir des gens, de plus en plus de gens depuis quoi, quelques mois, de plus en plus qui viennent parce que le Conseil Général leur a supprimé ou tronqué le RSA. Le Conseil Général, il voit la notification envoyée par nous, et ils tranchent. Je vous préviens, vous connaissez les risques monsieur Saramy. Bon, qu'est-ce que vous comptez faire alors ? Continuer ? Bon, alors moi je vais arrêter de vous suivre, je vais passer la main à un autre conseiller. J'ai pas de temps à perdre avec vous, moi je m'occupe de gens qui cherchent du travail. Vous allez avoir un autre conseiller, et il se passera ce qu'il devra se passer, hein. Bon, je mets rien dans votre dossier. Je mets rien mais je pourrais mettre quelque chose qui remontrait au Conseil Général, avec les conséquences que vous savez. Mais je mets rien. Voilà. Il se lève. Allez au revoir, monsieur Saramy. Poigne aussi brève que ferme, regard franc et froid.

Mais... mais...ça ressemble à s'y méprendre à un recadrage ! Un recadrage mi paternel-mi policier ! On en appelle au règlement, et derrière le règlement, une loi implicite qui découle des règlements : la réprobation du non-travail ! On va où, comme ça monsieur Saramy ? Vous allez où, c'est quoi ces concerts, c'est quoi l'échéance, c'est du vent, c'est pas une vie ça monsieur Saramy ! Je vais vous dire ce que vous êtes : un feignant monsieur Saramy, et le Conseil Général, il en veut pas des feignants, moi non plus j'en veux pas des feignants comme vous, la société n'en veut pas, elle n'en veut plus ! Je vais passer la main à un autre conseiller, et ce sera comme ça jusqu'à ce que vous finissiez par vous rendre monsieur Saramy ! On va vous couper les vivres, on va tôt ou tard en arriver là, et advienne que pourra monsieur Saramy. Moi, je travaille pas pour des gens comme vous, des gens de mauvaise volonté. Allez au revoir, monsieur Saramy, au revoir.

Il est probable que Charlie, littéralement transporté par l'élection de Monsieur Wauquiez à la tête du Conseil Général de la mégarégion, ait devancé de son propre chef toutes les consignes, toutes les directives venant du très-haut. Il a dans son enthousiasme déjà assimilé l'esprit de la Droite Sociale. Toutes les institutions régionales auront bientôt ce goût particulier de paternalisme policier, le ton du sheriff de comté qui connait bien les gamins, et pour cette fois fera une exception. Car voilà le maître-mot du courant : de la poigne, la mise au pas de toutes les forces sociales, mais aussi une pincée de pédagogie ! Oui, à ceux qui n'ont pas compris, il faut leur apprendre.

Guillaume, je te présente Laurent. C'est ton nouveau papa.

Commentaires

1. Le jeudi 7 janvier 2016, 02:35 par Yellow Pages

Maman peut t’aider.

http://www.recours-radiation.fr/
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http://www.actuchomage.org/Notre-se...

2. Le jeudi 7 janvier 2016, 18:51 par Jean-François Magre

Beau témoignage, je suis de tout coeur avec toi ayant vécu plusieurs dispositifs plempoi ou liés au RSA, je n'ai jamais eu à faire à un conneau de ce genre mais il est difficile d'échapper à cette pression plus ou moins diffuse qui parfois te fait sentir un peu piteux de devoir se rendre à ces entrevues dont aucune des parties n'est convaincue de leur efficience... Bon courage pour la suite. J-F

3. Le samedi 9 janvier 2016, 10:23 par nom

merci Pages ! merci Jean-François !
finalement mon tort a été de ne pas savoir lui dire au bout de combien de temps j'aurai fait CARRIERE... au prochain rendez-vous je me préparerai à des questions au futur antérieur ainsi qu'à l'imparfait du subjonctif.

4. Le dimanche 24 janvier 2016, 13:42 par Heinrich

D'aucuns reçoivent sans plus d'explications un chaleureux "Droit inférieur au montant minimum de versement fixé par décret"; impossibilité d'envoyer un mail à la CAF demandant explication ; il reste à la faignasse le happening direct de conseiller ; choix de l'arme, du style et de l'agence ; élaboration de la stratégie ; arrivée tonitruante ; conclusion ouverte ; va bosser faignasse

5. Le jeudi 4 février 2016, 02:58 par Wikipedié

> En 1991, elle rencontre Geoff Barrow dans la salle d'attente de l'agence locale du travail.

Et ça, mon ami, est le début d'une grande amitié. Qu'il faut toujours privilégier la salle d'attente au courriel.

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