Pour les novices ou ceux que la mesure n'a absolument jamais concerné de près ni de loin, le Revenu de solidarité active, anciennement Revenu minimum d'insertion (RMI), est une contribution sociale octroyée aux individus ou aux couples ne disposant d'aucun revenu du travail ou si peu qu'il leur serait impossible de disposer d'un toit et d'un repas par jour sans recourir à des moyens illégaux ou à la mendicité (j'entends le coryphée conservateur crier dans la fosse ou à se sortir les doigts du fion et trouver un travail: lisez donc, ô coryphée, la phrase qui suit, car le joueb ne limite pas ses contributions à cinquante mots ni à trente secondes d'attention).
Il est apparu dans le cadre de l'État Providence post-guerre mondiale et dans un contexte de chômage structurel lui-même conditionné par la désindustrialisation néolibérale massive des années 1970-80. Il s'agit donc d'une mesure de police qui prend la forme d'une aumône publique à même de juguler le vagabondage et la mendicité dans l'espace public, le recours à des moyens illégaux de survie et une surpopulation carcérale déjà bien carabinée depuis la fermeture du bagne de Cayenne. Nonobstant, les mutations postérieures du marché et les exigences du capital n'ont cessé depuis lors de faire pression afin d'en durcir les conditions d'attribution, en attendant d'obtenir sa suppression pure et simple et l'allègement consécutif des charges sociales qui en est escompté. Auquel il faut ajouter l'avantage non négligeable que constituera la mise à disposition d'une armée de réserve de travailleurs et travailleuses non qualifiés et corvéables à merci, dont un renforcement parallèle des moyens humains et technologiques de la répression permettra de gérer les débordements.
Après cette introduction de rigueur, venons-en au fait : qui serait donc l'auguste aïeul du RSA ?
Il était une fois la perle des Antilles, fleuron du commerce triangulaire français, grande usine à sucre, indigo et café, j'ai nommé : Saint-Domingue. Un jour de 1793, un étrange vent chargé de murmures séditieux souffle dans ses calanques et sur ses monts chauffés à blanc. Les esclaves qui forment les quatre cinquièmes de sa population se soulèvent contre leurs maîtres. Une guerre éclate, sanglante et destructrice, qui voit les colons abandonner à leur corps défendant ce bout d'île qui faisait leur fortune. Au bout de dix années, l'empereur de France fait rappeler ses troupes et les jacobins noirs proclament l'indépendance d'Haïti.
Quelques années auparavant, au plus fort des combats et tandis que les familles de colons désertaient la place, le gouvernement de Thermidor décide d'octroyer une contribution mensuelle aux nouveaux émigrés ayant laissé derrière eux tout leur patrimoine. Laissons la parole à l'historien Jean-François Brière
Le dédommagement des anciens colons passa avant tout par l’indemnité payée par Haïti, mais aussi par une voie moins bien connue et qui fut à la charge, cette fois-ci, de l’État français : il s’agit des secours financiers aux anciens colons de Saint-Domingue se trouvant en situation d’indigence temporaire ou permanente en France. Ce système d’aide publique très ciblé débuta en 1793 et fut réglementé par la loi du 28 germinal an VI (17 avril 1799). Seuls pouvaient en bénéficier les anciens colons propriétaires fonciers à Saint-Domingue avant 1791 et leur conjoint. Pouvaient les recevoir également leurs enfants nés, en quelque lieu que ce soit, d’un mariage contracté avant le 20 juin 1793 (date de l’incendie du Cap français qui avait déclenché la première grande vague d’émigration des colons). Le budget annuel alloué à ces aides culmina aux alentours d’un million de francs dans les années 1820, avec environ 5 000 bénéficiaires qui n’avaient souvent jamais mis les pieds à Saint-Domingue. Ces chiffres diminuèrent par la suite, mais lentement – ils étaient encore 672 bénéficiaires en 1876 –, puisque les enfants des colons étaient qualifiés pour recevoir ces secours jusqu’à leur mort. Un Comité des colons notables établi en 1804 décidait de l’éligibilité des requérants qui devaient présenter un certificat d’indigence signé par le maire de leur commune. Ce système souffrit d’abus fréquents, certains bénéficiaires étant nés d’un mariage postérieur à 1793 ou bien ayant des ressources qui auraient dû les disqualifier. L’aide de l’État français aux anciens colons de Saint-Domingue fut attribuée jusqu’au décès des deux dernières bénéficiaires en 1911. Il serait donc tout à fait inexact de penser que ces anciens colons n’ont reçu de compensation à la perte de leurs biens que de la part d’Haïti. Pendant plus d’un siècle, l’État français leur a tendu un « filet de sécurité » destiné à protéger les plus vulnérables d’entre eux. En novembre 1835, l’amiral Duperré, ministre de la Marine, notait que ces aides sont « au nombre des dettes les plus sacrées auxquelles l’État ait à pourvoir». Elles traduisaient la volonté des élites de Métropole de prévenir la destitution financière et sociale des membres de leur propre classe, victimes de ce qu’elles percevaient comme une injuste spoliation.
Mais messire, qu'est-ce donc que cela ? Ni plus ni moins que le grand-papa du RSA. Un jeu des 7 différences permet de mieux comprendre l'actuel subside dont le capitalisme français, héritier direct du commerce triangulaire et de l'exploitation coloniale, souhaite la disparition. Je vous laisse, ô lectrices, ô lecteurs, ô coryphée, le loisir d'y jouer.
Source: Brière, Jean-François. « Abolition de l’esclavage (1793‑1794) et indemnité : le cas d’Haïti ». Travail servile et dynamiques économiques XVIe‑XXe siècle, édité par Anne Conchon et al., Institut de la gestion publique et du développement économique, 2024, https://doi.org/10.4000/12n9a.
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