De : Adresse mail <adressemail@adressemail.net>
Date : Date
Objet : Objet
À : Homme
Homme,
C'est avec douleur que nous t'écrivons sur cette boîte mail car nous n'avons
pas réussi à te joindre à l'adresse adressemail@adressemail.net (et les
claviers de téléphone du monde ne permettent pas de taper le Numéro de
téléphone ).
La difficulté à écrire dans un idiome autre que l'Idiome est grande.
Considère cependant les phrases qui précèdent comme imprécises, et nées
d'une illusion dans laquelle nous étions prêts de tomber. Tu peux le voir, le
langage devient moins rigoureux, mais il devient vivant : car nous sommes
du monde, et quoiqu'il en soit de notre recherche de Monde, nous garderons les
deux pieds dans le monde.
Les deux phrases qui précèdent, ainsi que celle-ci dans laquelle cette
phrase s'écrit, sont énoncées dans un langage qui n'est pas Langage, mais
seulement une tentative d'approcher Langage et, à travers Langage, de mieux
cerner Monde ; tentative que nous nommerons peut-être "langage de
recherche de Monde", "langage de la quête de Monde", ou "approximation Müller
de Monde" (abréviée en "approx Müller" - Müller, pour différencier cette
approximation des autres existantes ou seulement possibles, sans pour autant
lui donner une quelconque primauté ou valeur inaugurale : car avant
l'approx Müller, il y a eu l'approx Platon, et bien d'autres.)
Quelle opération se joue ici ? Tout sera parti de l'existence peut-être
indéniable du groupe de musique Groupe de Musique. Il fallait prendre acte de
cette existence, et développer ses implications. Son implication la plus loin
portante consiste en une affirmation ontologique, un postulat
d'existence : le groupe de musique Groupe de Musique existe et ne peut
tout à fait exister que dans le monde Monde.
Dans le monde Monde, le seul groupe de musique dont on peut affirmer
l'existence est Groupe de Musique.
Dans le monde Monde, il n'y a pas de trains, de trains qui partent ou qui
arrivent, de trains en retard, de trains qui déraillent. Il y a le train Train.
Ou plutôt, si l'on veut être plus proche de la manière dont le monde Monde
s'énonce (du moins, c'est ainsi que nous le supposons) : il y a
Train.
Nous avons dit monde Monde, mais dans le monde Monde, il va de soi que ce
redoublement n'a pas lieu d'être : il s'agit simplement de Monde.
Le monde, celui fait de singularités, de noms propres et d'histoire, dans
lequel nous vivons, présente parfois à nos yeux inquiets certains objets qui,
plus que d'autres, nous mettent sur la voie de Monde : la plupart des
hommes d'affaire que nous croisons ne seront qu'agrégats de bouts d'apparence
et d'identité (homme d'affaire mais simultanément père de famille, arabe,
chauve, stress, soulier verni), quand pourtant l'un d'entre eux nous apparaît
soudain, dans l'étrange lumière d'une évidence, comme l'homme d'affaire Homme
d'affaire, ou plus justement Homme d'affaire, affirmation hiératique d'une
fonction. Nous nous écrions alors : Homme d'affaire !
Bien sûr, Homme d'affaire qu'on a cru voir apparaître ne se révèle bientôt
être qu'un homme d'affaire, peut-être pressé, peut-être alcoolique, peut-être
Norbert Gransart ou Jean Waltz. Le fait que nous soyons des membres du monde ne
se laisse jamais longtemps oublier : pourtant, l'intuition de Monde nous a
bien effleuré, et nous poursuivrons désormais la recherche de Monde et des
fonctions hiératiques et affirmatives qui le peuplent.
Parmi les questions qui nous hantent, il y a celle-ci : Question
?
Question ?
Ici nous subissons l'appel de Monde, mais reprenons-nous.
Parmi les questions qui nous hantent, il y a celle-ci : quels
pourraient être les moyens, les outils, les surfaces d'inscription adéquats
d'une recherche de Monde ? Car nous avons la naïveté de vouloir le
représenter.
Les maîtres enlumineurs du Moyen-Age semblent avoir recherché un moyen de
rendre Monde sensible. Tout au moins, l'on peut reconnaître que de nombreuses
enluminures sont truffées d'images de Poisson, Mer, Testicule, Seigneur, Ville,
Combat, et bien d'autres choses qui faisaient partie de Monde pour le maître
enlumineur du Moyen Age. La ferme et folle croyance de ce temps en une essence
fixe des choses, en la possibilité d'Homme, de Chevalier, de Ballot de paille,
etc., comme en atteste notamment le Livre des propriétés des choses de
Barthélémy l'Anglais, était un terreau fécond pour l'imagination et la
conception de Monde.
Il semble que les morceaux amoncelés en nos têtes de cognitions socialement
induites, via l'usage de mots cimentés par leur répétition incessante dans la
bouche de tout le monde, soit l'une des sources des entités peuplant
Monde : on ne saurait nier la hiératique présence en la tête d'Arabe, de
Juif, de Pédé, de Gitan, de Riche... Monde peuple le langage.
Mais quelque part ailleurs que dans l'aire de la bêtise ordinaire, il semble
que les enfants et les fous en ce monde, plus que les autres, aient un accès
privilégié à Monde, et disposent d'un langage plus adéquat pour le penser. Car
Monde est avant tout source d'un étonnement, ou bien peut-être Monde est-il
simultanément l'objet et le produit d'un étonnement devant l'inadéquation des
mots+des schèmes qu'ils portent, d'avec les choses singulières. Constatant dans
l'étonnement cette inadéquation, l'étrangeté du mot+squelette de choses qui lui
est attaché n'est cependant pas levée, et le mot-fonction ne fait que se poser
devant les yeux avec une insistance redoublée, un caractère affirmatif,
tonnant, qui confère à Homme, à Gare ou à Groupe de Musique une quasi-existence
terrifiante.
Ceci semble important : la question n'est pas de croire ou de ne pas
croire en l'existence de Monde, mais d'essayer de penser ce quelque chose qui
pourrait être Monde. Monde n'est peut-être que le produit d'une réaction
chimique : celle qui est résulte de la rencontre du langage toujours
ressassé et du cerveau qui l'incorpore. Cela ne le rend pas moins digne d'être
pensé.
Monde ne serait alors rien moins que le produit d'une contamination :
la contamination de la tête, des yeux, des oreilles, du corps entier, par
l'usage du langage et de la logique sise en cet usage. Monde serait le le
produit d'une rencontre : celle de la Logique et du monde.
Une seconde définition de Monde pourrait être celle-ci : Chose dans
Monde est le point de convergence de toutes les perceptions possibles d'une
même chose singulière. Ce en quoi tel objet est le même pour telle
chauve-souris, tel chien et tel homme. Ou encore : Chose dans Monde est
une catégorie de choses singulières pertinente pour toute perception
possible.
Quelle que soit la réelle nature de Monde, il faut tenter de le penser. Nous
défendant de croire que nous possédons la juste définition de Monde, il nous
faut donner à tout langage parlant de Monde son caractère d'approximation, et
l'entière liberté, jamais dénuée de rigueur, que ce caractère implique. Penser
Monde relève non pas de la science, mais d'une folie dont on ne saurait
déterminer la portée ou l'absence de portée.
/maquette de train images fixes ou animées du groupe de musique Groupe de
Musique/
Un exemple d'abord, parmi d'autres, pourrait servir de première approche du
problème Monde : qu'est-ce que Phrase ?
Dans Monde, il existe Phrase. La voici, peut-être :
Phrase s'écrit.
Ou bien, lorsque Voix est le vecteur :
Phrase se dit.
Notre incertitude est grande, tant Monde ne se laisse deviner que rarement à
travers la multitude des incarnations imparfaites et aberrantes, au sein du
monde, de ce qui existe en Monde, tant aussi le vertige est grand lorsque nous
tentons d'y pénétrer par l'effort de la pensée et du langage. L'un des
problèmes les plus saillants auquel nous faisons face dans la recherche de
Monde, est celui-ci : comment éviter ou comment assumer l'arbitraire, sans
nous barrer l'accès à Monde ? L’arbitraire arrive dès l'abord de la
recherche, lorsqu'il faut décider du niveau de spécification sémantique où l'on
peut trouver et nommer les fonctions qui peuplent Monde. Nous possédons
quelques fragiles certitudes, qui n'en sont guère en vérité, telles que :
il existe Train, mais il n'existe pas Train corail ou TGV. Il existe Véhicule.
Il existe Bicyclette, mais pas Vélo tout terrain. Il existe Voiture, mais pas
Voiture peugeot. Il existe Homme, mais pas Homme vétéran de la guerre du
Vietnam. Il existe Chauve, mais pas Dégarni. Il existe Policier, mais pas
Brigadier chef. Où devons-nous arrêter la division des abstractions qui
peuplent nos têtes ?
Peut-être au niveau d'abstraction qu'un œil exercé pourrait voir s'incarner
dans les choses mêmes. Un obscur mouvement est en effet décelable au sein du
monde et de son histoire : il semblerait que les entités peuplant Monde,
sous l'effet sans précédant des activités d'Homme, tendent sourdement à
investir les singularités qui jusqu'à maintenant faisaient du monde un monde
vivant, et faisaient du sensible un divers. La production industrielle
des objets, modes de vie, opinions, affects et percepts, dont nous ne cessons
de subir l'intensification, semble être la manifestation empirique de ce
mouvement transformant tout à la fois les choses et ceux qui ont rapport à
elles.
Monde pourrait constituer une plaisanterie raffinée goûtée par une poignée
d'idéologues prétentieux : il n'est pourtant qu'une manière de nommer et
d'élaborer un problème qui n'a jamais vieilli depuis l'aube de la pensée, ne
nous requérant qu'avec plus d'urgence à mesure que l'histoire s'emballait. Ce
problème est celui de la terrible efficace du langage, de la logique, et du
mouvement d'abstraction dont ils sont les noms : mouvement qui menace tous
les processus, tous les gestes incertains à l'œuvre dans le divers, d'un
figement brutal dans la pose hiératique, creuse, répétitive jusqu'à
l'obsession, des formes et des fonctions.
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